'est Ă  la sortie des studios de tĂ©lĂ©, une fois camĂ©ras et micros Ă©teints, que se glanent souvent les Ă©lĂ©ments les plus marquants d’un point de vue politique.

Le soir du 11 juillet, Georges-Louis Bouchez, prĂ©sident du MR, est invitĂ© Ă  participer Ă  l’émission Jeudi en prime aux cĂŽtĂ©s de Maxime PrĂ©vot, prĂ©sident des EngagĂ©s, pour dĂ©tailler leurs accords de gouvernement. À leur sortie du studio, Jean-Paul Philippot, CEO de la RTBF, saisi par la duretĂ© de la dĂ©claration de politique communautaire (DPC) Ă  l’égard de son mĂ©dia, fonce sur eux et interpelle le prĂ©sident du MR en s’insurgeant contre les coupes budgĂ©taires que lui impose cette DPC. Le ton monte. “Jean-Paul Philippot avait l’air en panique”, nous glisse un tĂ©moin. “Comme si on venait de lui couper les vivres.”“Il y a eu un Ă©change animĂ©, mais ce n’était pas un clash”, tempĂšre la porte-parole de la RTBF. Une mise Ă  la diĂšte forcĂ©e

La coalition “Azur”, qui unit le MR et Les EngagĂ©s Ă  la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles, et en Wallonie, vient en effet d’annoncer sa volontĂ© de mettre la RTBF Ă  la diĂšte forcĂ©e. La dotation du groupe audiovisuel public sera plafonnĂ©e durant toute la lĂ©gislature avec un impact de 70 millions d’euros.

La dĂ©signation de Jacqueline Galant (MR) s’inscrit d’ailleurs dans cette logique : le prĂ©sident du MR a dĂ©signĂ© un tempĂ©rament rugueux, capable d’appliquer les coupes budgĂ©taires sans coup fĂ©rir. Jacqueline Galant (MR) : les raisons de la rĂ©surrection de la “Maggie De Block wallonne”

Lors de l’échange avec le Montois, Jean-Paul Philippot fait valoir, notamment, les bons rĂ©sultats de son mĂ©dia. “Jean-Paul Philippot a marquĂ©, via la RTBF, une empreinte importante dans l’espace francophone, et il s’est Ă©tonnĂ© qu’on le lui reproche, en baissant ses moyens”, pointe un tĂ©moin de la scĂšne. Il souligne notamment les centaines d’emplois indirects, indĂ©pendants et PME, qui dĂ©pendent de la production locale de la RTBF.

Georges-Louis Bouchez ne se dĂ©monte pas. “M. Philippot, vous ĂȘtes brillant et j’ai beaucoup d’estime pour vous. Mais vous dirigez la seule chaĂźne publique au monde Ă  avoir tous les droits du sport en clair”, lui rĂ©torque-t-il.

C’est lĂ  un point central de la DPC qui prĂ©cise que la RTBF “reverra sa politique d’acquisition des droits de diffusion en clair de programmes, notamment sportifs, de telle maniĂšre Ă  ne pas empĂȘcher les chaĂźnes de tĂ©lĂ©vision privĂ©es belges francophones qui le dĂ©sirent de les acquĂ©rir au prix du marchĂ©â€.

Entre les téléfilms français, The voice, le Grand Cactus, qu'y a-t-il comme émission de service public à part la case mercredi soir (Investigation et QR)?

“Vous avez reçu deux pourcents de subsides en plus de l’indexation. Comment ont fait les autres mĂ©dias, sans ces aides, durant la crise ?”, poursuit Georges-Louis Bouchez. “À cĂŽtĂ©, de cela, prenons la grille de programme de la RTBF : entre les tĂ©lĂ©films français, The voice, le Grand Cactus, que reste-t-il encore comme Ă©mission de service public Ă  part la case mercredi soir (Investigation et QR) ? Et en radio, quel est le rĂŽle de service public de VivacitĂ©, si ce n’est de concurrencer Bel RTL, et celui de Tipik, si ce n’est de concurrencer Radio Contact ? En fait, vous bloquez la moitiĂ© de la bande FM pour concurrencer le privĂ©. Quand vous aurez tuĂ© tout le secteur privĂ©, on ne sera plus en dĂ©mocratie.”

Le Montois ajoute que, au vu des efforts budgĂ©taires que devra consentir la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles, sa prioritĂ© sera davantage d’ouvrir des crĂšches et des Ă©coles que de financer les droits tĂ©lĂ©s pour le sport, ou des Ă©missions de divertissement.

La discussion est animĂ©e. Elle dit, avec d’autres mots, ce qu’esquisse dĂ©jĂ  la DPC qui prĂ©voit que “la RTBF se recentrera sur ses missions de service public : l’information, la culture et l’éducation permanente”, soulignant le fait que “le RTBF n’a pas nĂ©cessairement pour vocation d’ĂȘtre le centre de gravitĂ© du paysage audiovisuel belge francophone.”

Contextualisons. La position du MR vis-Ă -vis de la RTBF, que Georges-Louis Bouchez juge trop financĂ©e (Ndlr : 366,9 millions d’euros de dotation en 2023), est connue depuis bien avant les Ă©lections. Le prĂ©sident du MR a par ailleurs rompu avec le style classique des prĂ©sidents de parti, qui voulait qu’on ne s’attaque pas directement au quatriĂšme pouvoir, en invectivant rĂ©guliĂšrement des journalistes. Ceux de la RTBF en ont notamment fait les frais. À Reyers, des inquiĂ©tudes

La victoire Ă©clatante du MR lors du scrutin du 9 juin ne pouvait donc que susciter une certaine inquiĂ©tude, dans les couloirs de Reyers. Le contenu de la dĂ©claration de politique communautaire, annoncĂ© lors d’une confĂ©rence de presse le 11 juillet, a confirmĂ© certaines de ces craintes.

Rien n’est encore coulĂ© dans le marbre, toutefois. Des discussions budgĂ©taires vont avoir lieu. La RTBF se fait doucement Ă  l’idĂ©e de devoir renoncer Ă  ses 2 % de subsides en plus de la dotation, tout en espĂ©rant conserver l’indexation, si l’entreprise se montre capable de faire des Ă©conomies par ailleurs.

La composition du prochain conseil d’administration de la RTBF, et l’identitĂ© de son prochain prĂ©sident en particulier, donnera probablement une indication plus prĂ©cise encore des tendances que souhaite imprimer la nouvelle majoritĂ©.

Certains ne peuvent s’empĂȘcher de penser que, en filigrane dans cette affaire, vient s’insĂ©rer la vieille croisade de Georges-Louis Bouchez pour bousculer un systĂšme mĂ©diatique qu’il juge dominĂ© par les idĂ©es et les journalistes de gauche. “Vous prĂ©parez la plus grande cure d’austĂ©ritĂ© qu’ait connue la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles” La guerre culturelle de Bouchez

Car Georges-Louis Bouchez a entamĂ© voici plusieurs annĂ©es une “guerre culturelle” (sic) qui vise Ă  imposer dans l’espace public des thĂšmes de droite, comme la lutte contre le wokisme, afin de remporter la bataille des idĂ©es, puis celle des urnes.

Le Montois, puisque les rĂ©dactions doivent ĂȘtre indĂ©pendantes du pouvoir politique, serait-il donc tentĂ© d’affaiblir autrement la RTBF, via son financement et la redĂ©finition de ses missions de base ?

“Le problĂšme, pour nous, ce n’est pas tant la ligne Ă©ditoriale, mĂȘme si celle de la PremiĂšre n’est clairement pas notre tasse de thĂ©, que la ligne stratĂ©gique de la chaĂźne. Attention, l’idĂ©e n’est vraiment pas de faire de la RTBF une chaĂźne soporifique, ni de les rendre eunuques”, objecte une source libĂ©rale. “L’enjeu, c’est l’équilibre avec le privĂ©. Paradoxalement, Georges-Louis Bouchez admire le talent de manager de Jean-Paul Philippot. Il le compare au Rupert Murdoch (magnat australien) de la presse francophone et, dans sa bouche, c’est un compliment. Au point que le MR a envisagĂ© de lui proposer le portefeuille de ministre des mĂ©dias. Il le voit comme celui qui est parvenu Ă  sortir la RTBF de son image de chaĂźne ringarde, pour la rendre dĂ©sirable. En fait, si personne ne lui met de balises, il tuera RTL-TVI et tout le secteur privĂ©. Le problĂšme, c’est que son mĂ©dia a Ă©tĂ© trop biberonnĂ© Ă  l’argent public du temps du ministre Jean-Claude Marcourt (PS).”

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