Les outils mis Ă  disposition des Ă©lĂšves des lycĂ©es pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles sont souvent trĂšs faibles, sinon totalement inexistants. Comment organiser la lutte contre ces violences ? Mais aussi, quels sont les outils les plus pertinents pour le mouvement lycĂ©en en gĂ©nĂ©ral ? C’est ce que nous vous proposons de voir Ă  travers l’exemple du combat menĂ© par des Ă©lĂšves du lycĂ©e BergĂšs Ă  Grenoble.

En septembre 2023, M. tĂ©moigne auprĂšs de D. d’une agression sexuelle qu’il a subi de la part du professeur d’EPS. Tous deux sont Ă©lĂšves au lycĂ©e BergĂšs et militants de l’UCL Grenoble. Ils dĂ©cident d’en faire le combat principal de la toute nouvelle commission lycĂ©enne. S’ensuit une phase de rĂ©colte de tĂ©moignages sur plusieurs mois : six cas supplĂ©mentaires leur sont remontĂ©s. DĂšs septembre, des surveillant·es mettent au courant les CPE qui sont censĂ©es alerter Ă  leur tour la direction. Pourtant, jusqu’en dĂ©cembre, aucune forme de protection des lycĂ©en·nes ne sera mise en Ɠuvre. Plus tard, la direction dira ne pas avoir Ă©tĂ© informĂ©e des faits de VSS. Dans l’intervalle, les militant·es insistent et se heurtent Ă  des murs.

La défaillance syndicale

En novembre, D. demande le soutien d’enseignantes de la CNT ou qui en sont proches. Elles avouent ne pas ĂȘtre Ă©tonnĂ©es des rĂ©vĂ©lations sur cet enseignant mais refusent d’accompagner les Ă©lĂšves face Ă  la direction. La voie syndicale est Ă©galement verrouillĂ©e du cĂŽtĂ© de « Sud Lutte de classes » (scissionnaires de Sud Éducation en IsĂšre qui utilisent toujours le nom Sud par imposture). La commission lycĂ©enne a des contacts Ă  la CGT Éduc’action par le biais de l’UCL mais ne trouve pas de moyen de la faire intervenir dans un lycĂ©e oĂč elle n’est pas implantĂ©e. Du cĂŽtĂ© des Ă©lĂšves, c’est déçu·es de leur expĂ©rience au sein du Mouvement National LycĂ©en (« syndicat » plus ou moins proche de Solidaires) que les lycĂ©en·nes communistes libertaires de Grenoble ont fondĂ© la commission lycĂ©enne en septembre 2023. En militant au MNL, ils et elles se sont heurté·es aux problĂšmes structurels du « syndicalisme » lycĂ©en. Comment construire des sections syndicales fortes en trois ans, dans des lycĂ©es atomisĂ©s par la rĂ©forme du bac, dont l’un des objectifs est, Ă  l’instar du management moderne, de briser les collectifs de classe ? Y a-t-il une « conscience de classe lycĂ©enne » ?n De plus, les luttes lycĂ©ennes, et celle-ci le dĂ©montre, sont souvent trop Ă©prouvantes pour de jeunes militant·es qui ne sont pas solidement accompagné·es par leur structure. L’UCL apporte la pratique de lutte concrĂšte, le cadre politique et la camaraderie forte indispensables Ă  ces luttes lycĂ©ennes qui manquaient au MNL.

La FCPE (FĂ©dĂ©ration des Conseils des Parents d’ÉlĂšves) sera la seule structure en mesure d’accompagner les Ă©lĂšves en lutte dans le bureau du proviseur et de son adjointe. Ce 7 dĂ©cembre, les Ă©lĂšves posent un ultimatum : si rien n’est fait avant la rentrĂ©e de janvier, oĂč dĂ©bute un cycle piscine, ils rendront l’affaire publique. DĂšs la semaine suivante, l’enseignant est suspendu. Les militant·es continuent pourtant de subir diverses pressions de la part de la direction. M. est convoquĂ© sous un faux motif et se voit accusĂ© de propager des rumeurs sur l’agresseur. Lors d’un entretien avec les Ă©lĂšves en lutte, une CPE exprime la grande souffrance causĂ©e par l’impossibilitĂ© structurelle d’accueillir les victimes de VSS. Quant Ă  la direction, elle alterne entre hostilitĂ© et fausse compassion impuissante. Par exemple, elle avoue aux militants que des lycĂ©ennes lui avaient dĂ©jĂ  rapportĂ© des comportements « bizarres » de cet enseignant. La direction a choisi d’en parler directement au professeur en question, sans suivi particulier, signe d’une mĂ©connaissance profonde des violences patriarcales. Par la suite, elle transmettra que se passe-t-il au niveau de la justification les noms de ces lycĂ©ennes Ă  la police sans leur avis. Moins surprenant, mais tout aussi violent, la police sollicitĂ©e automatiquement par le rectorat pour fournir un rapport d’enquĂȘte a mis la pression sur M. en lui demandant de pousser les autres victimes Ă  dĂ©poser plainte. En revanche, les OPJ n’ont auditionnĂ© ni la direction, ni les CPE.

RentrĂ©e de janvier : l’UCL en ordre de bataille

Bien que l’enseignant ait Ă©tĂ© suspendu depuis dĂ©cembre, le lycĂ©e maintenait sa politique de l’opacitĂ© et rien ne garantissait qu’il ne reviendrait pas aprĂšs l’enquĂȘte. La commission lycĂ©enne a alors fait appel au reste de l’UCL Grenoble pour un tractage massif le 17 janvier. Le proviseur a eu beau sermonner longuement les Ă©lĂšves en lutte devant le portail, 700 tracts intitulĂ©s « Victoire pour les lycĂ©en·nes mobilisé·es de BergĂšs  ! » ont Ă©tĂ© distribuĂ©s. Nouveau faux pas, le proviseur a ensuite demandĂ© Ă  toutes et tous les enseignant·es de condamner le tract devant leurs classes au motif qu’il serait erronĂ©, puisque l’agresseur n’était pas « mis Ă  pied » mais « suspendu »  Un tract condamnable parce que nous aurions attĂ©nuĂ© la sanction par inadvertance ? LĂ  encore, la direction a jouĂ© des pieds et des mains alors qu’elle perdait les pĂ©dales ! En amont de cette dĂ©monstration de force, l’UCL avait fourni un accompagnement juridique ainsi qu’un partage d’expĂ©rience sur le militantisme lycĂ©en et Ă©tudiant. Surtout, elle a apportĂ© un soutien moral vital.

La commission lycĂ©enne tire plusieurs conclusions politiques de ces Ă©vĂ©nements qui confirment des analyses prĂ©existantes. D’abord, l’organisation politique doit un soutien au long cours aux militant·es en premiĂšre ligne dans la lutte contre les VSS et organiser des actions visibles et massives. Dans les mĂȘmes circonstances, un syndicat lycĂ©en aurait Ă©tĂ© dĂ©muni dĂšs l’abandon par les profs et les CPE. Par ailleurs, notre grille d’analyse libertaire permet de mettre en Ă©vidence le rĂŽle des institutions de l’État comme l’Éducation Nationale et le lycĂ©e BergĂšs dans la silenciation des victimes et la stigmatisation des militant·es lycĂ©en·nes. À ce jour, l’enseignant n’est pas revenu. Cette victoire a permis d’emmener bon nombre de lycĂ©en·nes en manifestation le 8 mars pour les luttes fĂ©ministes, contre le «  choc des savoirs  » et en soutien au peuple palestinien. Construire un mouvement lycĂ©en fort, c’est d’abord lutter dans nos lycĂ©es.

Le combat ne fait que commencer. Au moment mĂȘme oĂč nous Ă©crivions cet article en terrasse d’un cafĂ©, un Ă©lĂšve d’un autre lycĂ©e est venu voir D. et M. pour leur parler d’un nouveau cas. Difficile de mieux illustrer les effets de la lutte : on se reconnaĂźt, on se cause et on s’auto-organise. MĂȘme dans les lycĂ©es, on laisssera rien passer  ! Violences sexistes, riposte fĂ©ministe !

Commission lycĂ©enne de l’UCL Grenoble