Face Ă  l’accĂ©lĂ©ration de la montĂ©e de l’extrĂȘme droite provoquĂ©e par les lĂ©gislatives anticipĂ©es, une tribune a rassemblĂ© les mĂ©dias indĂ©pendants de toutes les tendances de la gauche, pour affirmer un « front commun » et rappeler que l’extrĂȘme droite est aussi l’ennemie de la libertĂ© de la presse et de l’information.

Le 19 juin, Alternative libertaire Ă©tait signataire d’une tribune, « Pour un front commun des mĂ©dias contre l’extrĂȘme droite » [1]. PortĂ©e par le Fonds pour une presse libre, et cosignĂ©e par 90 mĂ©dias, elle rappelait le danger mortel pour la presse que reprĂ©sente l’extrĂȘme droite : « Partout [oĂč elle] gouverne, la libertĂ© de la presse est violemment attaquĂ©e : interdiction de publication, destruction du secret des sources, multiplication des procĂ©dures baillons, censure, pressions et intimidations, assĂšchement des aides publiques Ă  la presse. »

L’audiovisuel public, organe de propagande ?

Une fois au pouvoir, l’un des premiers objectifs de l’extrĂȘme droite est de le conserver. Cela passe entre autre par la destruction du pluralisme mĂ©diatique et de la libertĂ© de la presse. On a pu le constater en Hongrie, oĂč les oligarques proches du parti de Viktor OrbĂĄn contrĂŽlent dĂ©sormais plus de 80 % du paysage mĂ©diatique, et oĂč l’audiovisuel public a Ă©tĂ© transformĂ© en organe de propagande. L’affaire Pegasus a aussi montrĂ© que le gouvernement avait placĂ© plusieurs journalistes et patrons de presse sous surveillance [2].

Un rapide examen du programme du RN permet de constater que la question des mĂ©dias n’y est Ă©voquĂ©e qu’en une phrase : « Privatiser l’audiovisuel public ». La chose a le mĂ©rite d’ĂȘtre claire : dans un contexte de concentration des mĂ©dias français aux mains de quelques milliardaires, le RN souhaite appuyer sur l’accĂ©lĂ©rateur. Dans l’objectif inavouĂ© de finir de pousser le paysage audiovisuel vers un discours conservateur et fasciste hĂ©gĂ©monique.

Mais l’extrĂȘme droitisation de la tĂ©lĂ©vision n’a pas attendu le RN : deux jours aprĂšs la publication de la tribune Ă©voquĂ©e plus tĂŽt, nous apprenions la « mise en retrait » de cinq journalistes de France TĂ©lĂ©visions, accusĂ©s d’avoir « enfreint la rĂšgle de neutralitĂ© politique », pour avoir signĂ© ce texte au nom de la SociĂ©tĂ© des journalistes (SDJ) de France 3. PlacardisĂ©s jusqu’au 8 juillet, les signataires ne traiteront plus la campagne lĂ©gislative, la direction considĂ©rant qu’il « en va de l’image d’impartialitĂ© des rĂ©dactions de France TĂ©lĂ©visions ».

La liberté de la presse en recul

Il faut dire que si le RN souhaite accĂ©lĂ©rer la mutation du PAF, les gouvernements prĂ©cĂ©dents lui ont largement prĂ©parĂ© le terrain, avec les rĂ©formes successives de l’audiovisuel public et du Conseil supĂ©rieur de l’audiovisuel (CSA), devenu l’Arcom [3] en 2022. Si le gouvernement Hollande Ă©tait revenu sur la loi du 5 mars 2009 qui donnait au prĂ©sident de la RĂ©publique le pouvoir de nommer les prĂ©sidents de l’audiovisuel public, cette tĂąche revient dĂ©sormais Ă  l’Arcom, une instance dont le prĂ©sident est nommé  par le prĂ©sident de la RĂ©publique. L’autoritĂ© de rĂ©gulation est Ă©galement pilotĂ©e par un collĂšge de huit membres en plus de son prĂ©sident, trois d’entre eux Ă©tant nommĂ©s par la prĂ©sidence de l’AssemblĂ©e nationale : il s’agira lĂ  d’un enjeu important dans les semaines qui suivront les Ă©lections lĂ©gislatives du 7 juillet, le RN pouvant, via l’assemblĂ©e, acquĂ©rir du contrĂŽle sur le « gendarme de l’audiovisuel », dĂ©jĂ  bien peu Ă©nergique quand il s’agit de surveiller les dĂ©rives des mĂ©dias BollorisĂ©s.

Mais ce n’est pas tout : le gouvernement Macron a aussi fait reculer la libertĂ© de la presse, en faisant primer le secret des affaires et en portant atteinte au secret des sources, multipliant les actions contre des journalistes d’investigation : coups de pression, mais aussi perquisition et garde Ă  vue de la journaliste Ariane Lavrilleux, journaliste au mĂ©dia Disclose, qui avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© la cible de la DGSI Ă  de multiples reprises pour s’ĂȘtre intĂ©ressĂ©e de trop prĂšs Ă  des dossiers classĂ©s secret dĂ©fense [4]. Encore plus rĂ©cemment, c’est une journaliste du mĂ©dia Blast enquĂȘtant sur les ventes d’armes de la France Ă  IsraĂ«l qui a Ă©tĂ© placĂ©e 32 heures en garde Ă  vue [5].

La bascule s’est aussi faite dans les discours de Macron, en particulier lors de l’affaire Benalla. N’apprĂ©ciant pas que la presse s’intĂ©resse de trop prĂšs Ă  son protĂ©gĂ©, le prĂ©sident dĂ©nonçait alors dans une dĂ©claration « une presse qui ne cherche plus la vĂ©ritĂ© », marquant une bascule dans un discours de post-vĂ©ritĂ© [6] d’inspiration trumpiste, et dans une attaque directe des mĂ©dias d’investigation. Cette communication basĂ©e sur le rejet pur et simple de faits pourtant observables et sourcĂ©s n’est pas sans rapport avec la montĂ©e des discours fascistes. Comment s’étonner de l’explosion du complotisme Ă  partir de la pandĂ©mie de Covid-19 quand le prĂ©sident de la RĂ©publique lui-mĂȘme semble dĂ©velopper un rapport si souple avec la rĂ©alitĂ© matĂ©rielle ?

La presse, outil de résistance

Aujourd’hui en 2024 ce discours anti-journalistes s’est gĂ©nĂ©ralisĂ©, comme le note Reporters sans frontiĂšres dans son classement annuel de la libertĂ© de la presse oĂč la note de la France continue de baisser. Un contexte confortable pour les discours du RN, pouvant lancer des attaques floues contre « les journalistes » sur des plateaux tĂ©lĂ©visĂ©s de plus en plus acquis Ă  leur agenda, sans se soucier du paradoxe de la scĂšne.

AlliĂ©es aux discours racistes traditionnels de l’extrĂȘme droite, ces prises de positions dĂ©bouchent sans surprise sur des faits ciblant des journalistes racisé·es. Dans l’entre-deux tours des lĂ©gislatives, les journalistes Karim Rissouli et Mohamed Bouhafsi de France TĂ©lĂ©visions, ainsi que Nassira El Moaddem de ArrĂȘt sur images, ont tous les trois reçu des lettres d’insultes et de menaces racistes directement Ă  leurs domiciles, ou Ă  ceux de leurs parents.

Alors que l’extrĂȘme droite prend une place de plus en plus dominante dans les institutions politiques du pays, nous devons plus que jamais renforcer la presse libre et indĂ©pendante, qu’il s’agisse de la presse d’investigation ou des mĂ©dias et journaux rĂ©volutionnaires. La presse et la circulation de l’information et des idĂ©es qu’elle permet est et sera un outil de rĂ©sistance majeur contre l’extrĂȘme droite.

N. Bartosek (UCL Alsace)

[1] « Pour un front commun des mĂ©dias contre l’extrĂȘme droite », Rapports de force, 19 juin 2024. [2] « Pegasus : un dĂ©putĂ© du parti au pouvoir en Hongrie reconnaĂźt l’utilisation du logiciel espion », Le Monde, 4 novembre 2021. [3] AutoritĂ© de rĂ©gulation de la communication audiovisuelle et numĂ©rique. [4] « “Disclose” : la DGSI a entendu Ă  cinq reprises des journalistes du mĂ©dia d’investigation depuis 2018 », Le Monde, 22 septembre 2023. [5] « AprĂšs sa garde-Ă -vue, la journaliste de Blast contre attaque en justice », Blast, 28 juin 2024. [6] « “La tromperie est enracinĂ©e dans la communication politique” », Mediapart, 9 avril 2019.