Climat : Ă  Carpentras, les viticulteurs tentent de contrĂŽler la grĂȘle en ensemençant les nuages

En envoyant de l’iodure d’argent dans les nuages, ils veulent rĂ©duire la taille des grĂȘlons. Une technique appelĂ©e Ă  susciter un intĂ©rĂȘt croissant avec le changement climatique.

Par Anne FEITZ, Publié le 28 août 2024 à 09:30Mis à jour le 28 août 2024 à 10:03

Jean-Claude Micol n’a plus peurdelagrĂȘle. Ce 15 aoĂ»t, vers 10 heures du matin, ce viticulteurdelarĂ©giondeCarpentras a pourtant reçu une alerte sur son tĂ©lĂ©phone, l’avertissant d’un risquedegrĂȘlele jour mĂȘme, vers 14 heures. Il dĂ©tient toutefoislaparade, entrelesoliviers du jardindesa maison : une drĂŽledemachine, composĂ©ededeux bonbonnes et d’une petite cheminĂ©eeninox d’un mĂštredehauteur.

Un « gĂ©nĂ©rateur terrestre Ă  vortex » qui lui permet d’envoyer, grĂące aux courants ascendants, des particules d’iodure d’argent danslesnuages, Ă  2.000 mĂštres d’altitude. « On multiplie ainsilesnoyauxdecongĂ©lation sur lesquels s’agrĂšgentlescristauxdeglace qui formentlesgrĂȘlons. CommelaquantitĂ© d’eau dans le nuage est constante, il y a plusdegrĂȘlons, mais ils sont plus petits : ils tombent plus lentement et ont mĂȘme souvent le tempsdefondre », dit-il.

EpisodesdegrĂȘleplus violents

Dequoi protĂ©gerlesviticulteurs, mais pas seulement. « Des grĂȘlonsde3 Ă  5 centimĂštres, ça fait des dĂ©gĂąts surlestoitures,lesvĂ©randas
 », avance Sandra Scavennec, coordinatrice du rĂ©seau PrĂ©vigrĂȘle auquel appartient Jean-Claude Micol. A Saillans, danslaDrĂŽme, Ă  quelques kilomĂštresdelazone couverte par son rĂ©seau, des grĂȘlonsde750 grammes ont dĂ©truit toits et pare-brisesenjuillet 2023.

Il n’y a finalement pas eudegrĂȘleĂ  Carpentras le 15 aoĂ»t. Un collĂšguedeJean-Claude Micol, prĂšsdeSuzette, Ă  une quinzainedekilomĂštresdelĂ , n’a pas eulamĂȘme chance. « Mais vous voyez, aucun grĂȘlon n’a dĂ©passĂ© 1 centimĂštre,lesimpacts sont lĂ©gers », fait valoir Sandra Scavennec,enmontrantlaplaquedepolystyrĂšne tĂ©moin que le viticulteur vientdelui apporter.

L’ensemencement desnuagespourcontrĂŽlerlamĂ©tĂ©o existe depuisdenombreuses annĂ©es. Mais Sandra Scavennec s’attend Ă  ce qu’il suscite un intĂ©rĂȘt croissant avec le changement climatique. « Selonlesscientifiques, il y aura danslesdĂ©cennies Ă  venir moins d’épisodesdegrĂȘle, mais chaque Ă©pisode risque d’ĂȘtre plus violent », dit-elle.LesĂ©pisodesdesĂ©cheresse, Ă©galement appelĂ©s Ă  se multiplier, pourraient aussi lui ouvrirdenouvelles perspectives dans l’Hexagone.

Jean-Claude Micol estime quelatechnique est efficace Ă  « 50 %, 60 % » - un chiffre difficile Ă  dĂ©montrer. «Laseule fois oĂč j’ai perdu une partiedema rĂ©colte, je n’avais pas pu allumer le gĂ©nĂ©rateur », dit-il, Ă©voquant quatre Ă©pisodesdegrĂȘleseulementenvingt-sept ans.

Coût des récoltes perdues

Le viticulteur dĂ©pend aussi des gĂ©nĂ©rateursdeses voisins, qui maillentlesnuagesensemencĂ©s. « Notre rĂ©seau compte 185 gĂ©nĂ©rateurs danslarĂ©gion Sud-Est », indique Sandra Scavennec. PrĂ©vigrĂȘle appartient lui-mĂȘme Ă  l’Association nationale d’étude etdelutte contrelesflĂ©aux atmosphĂ©riques (Anelfa), qui fournit le matĂ©riel et totalise plusde1.000 gĂ©nĂ©rateursenFrance mĂ©tropolitaine.

S’appuyant surlesĂ©tudes d’Anelfa - etlabonne santĂ©deses propres cultures -, le viticulteur estime que l’iodure d’argent n’a pas d’impact environnemental significatif, compte tenu des faibles quantitĂ©s utilisĂ©es.Enrevanche, il connaĂźtlesdĂ©gĂąts que peut provoquerlagrĂȘle. « Mon voisin Jean-Claude a perdu 100 %desa rĂ©colte, avantdes’équiper d’un gĂ©nĂ©rateur », dit-il.

A Carpentras,lesfrais sont prisencharge parlacommunautĂ© d’agglomĂ©rations (environ 20.000 euros par an) , etlesgĂ©nĂ©rateurs opĂ©rĂ©s par des bĂ©nĂ©voles.Lesexploitants indĂ©pendants horsdelazone qui souhaitent s’équiper devront dĂ©bourser environ 2.000 euros par an, tout compris.

A mettreenregard du coĂ»t d’une rĂ©colte perdue : selon l’Anelfa, l’évĂ©nementdegrĂȘlele plus cherdel’histoire, survenu du 6 au 10 juin 2014, a coĂ»tĂ© Ă  lui seul 850 millions d’euros aux assureurs.Lesindemnisations liĂ©es aux alĂ©as climatiques ont reprĂ©sentĂ© 6,5 milliards d’eurosen2023.

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Climat : manipuler les nuages, une technologie controversée

UtilisĂ© de longue date, l’ensemencement des nuages pour contrĂŽler la pluie suscite un intĂ©rĂȘt croissant dans certains pays, notamment la Chine. Son efficacitĂ© et son absence d’impact environnemental ne font toutefois pas consensus auprĂšs des scientifiques.

Par Anne FEITZ, Publié le 28 août 2024 à 07:36Mis à jour le 28 août 2024 à 09:38

SĂ©cheresse persistante dans les PyrĂ©nĂ©es-Orientales ou dans l’Aude, Ă©pisodes de grĂȘle de plus en plus destructeurs : face aux effets Ă  venir du rĂ©chauffement climatique, la tentation est grande de vouloir contrĂŽler la mĂ©tĂ©o, en particulier la pluie ou la grĂȘle.

En France, l’ensemencement des nuages, pour contrĂŽler la grĂȘle, est dĂ©jĂ  utilisĂ© de longue date. L’Association nationale d’étude et de lutte contre les flĂ©aux atmosphĂ©riques (Anelfa) a mis au point une technique, permettant, en envoyant de l’iodure d’argent dans les nuages, de rĂ©duire la taille des grĂȘlons.

« Les cristaux de glace se dĂ©veloppent sur davantage de particules contenues dans un nuage. Il n’y a pas plus d’eau, les grĂȘlons sont donc moins gros », explique Sandra Scavennec, coordinatrice du rĂ©seau PrĂ©vigrĂȘle, l’un des membres de l’Anelfa.

Lutter contre la sécheresse

L’Anelfa utilise des « gĂ©nĂ©rateurs terrestres Ă  vortex », qui envoient l’iodure d’argent depuis le sol en s’appuyant sur les courants ascendants. D’autres, comme la sociĂ©tĂ© française Selerys, utilisent des ballons pour dissĂ©miner les particules. D’autres encore, Ă  l’étranger, les propagent grĂące Ă  des avions.

« Une cinquantaine d’Etats dans le monde pratiquent l’ensemencement des nuages », explique Marine de Guglielmo Weber, chercheuse Ă  l’Institut de recherche stratĂ©gique de l’Ecole militaire (Irserm), qui a fait sa thĂšse sur le sujet. « Si la France n’y recourt pour l’instant que pour lutter contre la grĂȘle, d’autres, comme les Etats-Unis, les pays du Sahel ou les Etats du Golfe l’utilisent aussi pour augmenter les chutes de pluie. »

La Chine est sans doute le leader mondial de la technique : elle y consacre d’énormes investissements, l’ayant par exemple utilisĂ©e pour faire pleuvoir avant la cĂ©rĂ©monie d’ouverture des JO de PĂ©kin en 2008, ou pour lutter contre la sĂ©cheresse dans la rĂ©gion du fleuve YangtsĂ© en 2022.

« Elle est en train de mettre en place le plus grand programme au monde de lutte contre la sĂ©cheresse, sur le plateau tibĂ©tain », indique la chercheuse. On a un temps soupçonnĂ© les Emirats arabes unis d’avoir ainsi provoquĂ© les inondations de DubaĂŻ de mars dernier - ce qu’ils ont dĂ©menti.

La technologie est toutefois controversĂ©e. D’abord, parce que son efficacitĂ© reste discutĂ©e. « Il n’y a pas de consensus scientifique sur la question », explique Marine de Guglielmo Weber. « La pluie ou la grĂȘle sont des phĂ©nomĂšnes naturels dont la variabilitĂ© est trĂšs Ă©levĂ©e. Il est trĂšs difficile de les corrĂ©ler Ă  une activitĂ© humaine et de savoir ce qui se serait passĂ© sans intervention. »

Ralentir les troupes vietnamiennes

Par ailleurs, son impact sur l’environnement est encore trĂšs peu documentĂ©. Si l’Anelfa affirme, Ă©tudes Ă  l’appui, que les quantitĂ©s d’iodure d’argent utilisĂ©es sont trop faibles pour ĂȘtre nocives, Marine de Gugliemo Weber est plus circonspecte. « Certes, si l’iodure d’argent avait des effets massivement toxiques, on l’aurait dĂ©jĂ  constatĂ© », reconnaĂźt-elle. « Mais on ne connaĂźt pas les effets d’une accumulation dans le temps, ni ceux d’une interaction avec d’autres substances prĂ©sentes dans les sols. Une Ă©tude parue en 2016 a aussi montrĂ© ses effets nocifs sur les micro-organismes, qu’il conviendrait de creuser. »

Enfin, l’ensemencement des nuages pose une question de rĂ©glementation. Les Etats-Unis l’ont utilisĂ© pendant la guerre du Vietnam, pour provoquer des inondations et ralentir les troupes vietnamiennes. Depuis, l’ONU a adoptĂ©, en 1976, une convention (Enmod) interdisant de l’utiliser Ă  des fins militaires. Mais mĂȘme Ă  des fins civiles, son utilisation peut provoquer des tensions. En 2018, un gĂ©nĂ©ral iranien a accusĂ© IsraĂ«l de manipuler les nuages, afin d’éviter qu’il pleuve en Iran.

Certains rĂ©clament dĂšs lors un statut juridique pour les nuages. L’avocat et romancier français Mathieu Simonet veut mĂȘme les voir inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Dans un contexte de rarĂ©faction de la ressource en eau, la question de la rĂ©glementation de leur ensemencement fait dĂ©jĂ  l’objet de rĂ©flexions.