La scĂšne se dĂ©roule au club de golf de Donald Trump, Ă  Bedminster, dans le New Jersey. L’ancien prĂ©sident des États-Unis est confortablement assis dans un fauteuil. A ses cĂŽtĂ©s, Theo Von, coupe mulet et petite barbichette. Ce comĂ©dien de stand-up, aux commandes de* « *This Past Weekend », l’un des podcasts les plus Ă©coutĂ©s du pays, reçoit le candidat rĂ©publicain Ă  la prĂ©sidentielle du 5 novembre.

Une heure d’une conversation amicale, oĂč la discussion roule sur la pratique de la chasse des enfants Trump, la passion commune des deux hommes pour l’Ultimate Fighting Championship, le trĂšs populaire championnat de MMA, avant d’enchaĂźner sur le combat contre l’alcoolisme du frĂšre de Donald Trump, Fred, mort en 1981. Sans oublier une sĂ©quence devenue virale, au cours de laquelle le milliardaire s’enquiert des effets de la cocaĂŻne sur son hĂŽte, qui lui rĂ©pond que cette drogue transforme « en putain de hibou ». Pas moins de treize millions de personnes ont visionnĂ© le programme sur YouTube depuis sa diffusion, fin aoĂ»t.

Ces derniers mois, Donald Trump multiplie les apparitions dans des Ă©missions animĂ©es par des personnalitĂ©s masculines qui affolent les compteurs des rĂ©seaux sociaux, Ă  l’image de Theo Von. Une tournĂ©e des popotes version testostĂ©rone qui ne doit rien au hasard. Il espĂšre ainsi toucher leur public, en trĂšs grande majoritĂ© des hommes jeunes, peu portĂ©s sur la politique, qui ne s’informent ni par la tĂ©lĂ©vision ni par les mĂ©dias traditionnels. Dans ces shows, le rĂ©publicain discute politique, sports de combat, cryptomonnaies ou immigration.

On l’a vu chez Adin Ross, mĂ©gastar du Net, banni en 2023 de Twitch, plateforme de diffusion en direct, pour avoir publiĂ© des dĂ©clarations homophobes et des contenus haineux. Ou encore chez Logan Paul, combattant professionnel de MMA et cĂ©lĂšbre influenceur qui compte plus de 50 millions de followers. Les Nelk Boys, des youtubeurs adulĂ©s par leurs abonnĂ©s qui ne se lassent pas de leur vulgaritĂ© et de leur humour gras, lui ont aussi donnĂ© carte blanche en 2022 et en 2023. DĂ©but aoĂ»t, la bande d’AmĂ©ricano-Canadiens a reçu les premiĂšres confidences de son colistier, J. D. Vance.

Le vote des potes, des mecs

PrĂšs de quarante et un millions de reprĂ©sentants de la gĂ©nĂ©ration Z (les moins de 30 ans) sont appelĂ©s aux urnes le 5 novembre, dont plus de huit millions de primo-votants, selon le Center for Information and Research on Civic Learning and Engagement (Circle). Alors que la question de l’avortement a boostĂ© la candidature de Kamala Harris chez les Ă©lectrices, notamment dans cette catĂ©gorie d’ñge, Trump pense avoir trouvĂ© une parade.

*« Il cherche Ă  attirer des jeunes hommes blancs, mais aussi noirs, hispaniques ou asiatiques, *dĂ©crypte Katherine Haenschen, professeure assistante de science politique Ă  la Northeastern University, Ă  Boston. Il joue sur les insĂ©curitĂ©s liĂ©es Ă  l’économie et sur celles liĂ©es Ă  leur frustration vis-Ă -vis des femmes. Certains ont le sentiment que l’AmĂ©rique leur devient hostile : ils voient les femmes prendre de l’avance dans l’éducation, obtenir des rĂŽles qui Ă©taient traditionnellement rĂ©servĂ©s aux hommes, et ils n’aiment pas ça. »

C’est ce que le New York Times appelle le vote des *« bros », *un raccourci familier de *brother, *soit le vote des potes, des mecs. Il s’agit d’une partie des 18-29 ans longtemps considĂ©rĂ©e comme inaccessible, mais dont les rĂ©publicains pensent qu’elle pourrait faire basculer l’élection cette annĂ©e.

Un vague souvenir des excĂšs de l’ancien prĂ©sident

Face Ă  eux, Donald Trump se veut le reprĂ©sentant d’une virilitĂ© traditionnelle. A 78 ans, le milliardaire, qui a longtemps cultivĂ© son cĂŽtĂ© playboy, aime se prĂ©senter comme un leader fort et charismatique. Il a rĂ©cemment promis aux femmes d’ĂȘtre leur *« protecteur », *malgrĂ© les sorties sexistes dont il est coutumier et sa condamnation au civil, en 2023, Ă  verser plus de [88 millions de dollars de dommages et intĂ©rĂȘts] Ă  l’autrice Elizabeth Jean Carroll pour agression sexuelle et diffamation.

La plupart de ces jeunes n’ont qu’un vague souvenir des excĂšs de sa prĂ©sidence et du chaos qu’il a semĂ© en appelant [Ă  marcher sur le Capitole le 6 janvier 2021]. Quand il a remportĂ© la Maison Blanche en 2016, ils n’étaient encore que des enfants ou des adolescents. Le format de ces Ă©missions lui permet de dĂ©rouler posĂ©ment ses arguments, voire ses mensonges, face Ă  des personnalitĂ©s bienveillantes. Le candidat tire aussi parti de la relation que les fans entretiennent avec leur influenceur favori, avec lequel ils se sentent en confiance.

Parfois, les hĂŽtes ne cachent mĂȘme pas leur sympathie. Adin Ross a ainsi offert Ă  l’ancien prĂ©sident une montre Rolex et un pick-up Tesla Cybertruck customisĂ© aux couleurs de sa campagne. Mi-septembre, deux des Nelk Boys sont montĂ©s Ă  la tribune de son meeting Ă  Las Vegas pour dire tout le bien qu’ils pensent de lui. Ces derniers ont aussi rĂ©pondu prĂ©sents pour inciter leurs auditeurs Ă  s’inscrire sur les listes Ă©lectorales.

La stratĂ©gie de Trump peut-elle s’avĂ©rer payante quand Kamala Harris mise, elle, sur la viralitĂ© d’Instagram et de TikTok pour atteindre les plus jeunes Ă©lecteurs ? Aux Etats-Unis, les moins de 30 ans ont l’habitude de voter massivement pour les dĂ©mocrates. En 2020, ils s’étaient particuliĂšrement mobilisĂ©s, plaçant trĂšs largement Joe Biden devant Donald Trump. *« Si ce dernier parvient Ă  rĂ©duire la marge de Kamala Harris auprĂšs des jeunes, cela peut changer la donne dans les Etats-clĂ©s », *indique la professeure Katherine Haenschen. Dans une Ă©lection qui s’annonce serrĂ©e, chaque voix compte.