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    1 year ago

    Un dispositif largement décrié

    Cette absence de cadre clair enraye un peu plus le dĂ©ploiement serein d’un dispositif dĂ©jĂ  rejetĂ© par tous les syndicats et par une majoritĂ© d’enseignants. Dans les Ă©tablissements, les oppositions restent fortes contre une mesure dĂ©criĂ©e pour ĂȘtre la dĂ©clinaison du « travailler plus pour gagner plus » appliquĂ© Ă  une profession qui alerte sur un important alourdissement de sa charge de travail.

    « Nous sommes des fonctionnaires de l’éducation nationale, nous avons passĂ© un concours qui nous donne droit Ă  un statut et cette forme de contractualisation y porte atteinte », dĂ©nonce aussi Sylvie (les personnes citĂ©es par leur prĂ©nom n’ont pas souhaitĂ© donner leur nom), professeure d’anglais en Bretagne. Dans son lycĂ©e, elle a signĂ©, comme une quinzaine d’autres enseignants, une pĂ©tition du SNES-FSU appelant Ă  ne pas adhĂ©rer au pacte. Comme beaucoup d’autres, elle s’alarme des « pressions » de la part de certaines directions racontĂ©es par des collĂšgues, et redoute que des tensions apparaissent dans les Ă©quipes.

    « Le pacte arrive comme une bombe dans les salles des profs oĂč la colĂšre des enseignants est grande », observe Lydia Advenier, proviseure d’un lycĂ©e Ă  Lyon et membre du bureau exĂ©cutif du SNPDEN, qui dĂ©plore un dispositif trop rigide et une mise en Ɠuvre trop prĂ©cipitĂ©e. Aucun des soixante enseignants de son Ă©tablissement ne s’est positionnĂ© en cette fin d’annĂ©e pour la moindre mission.

    « Ils ont opposĂ© un refus collectif Ă  un dispositif encore trop flou et qui ne correspond pas Ă  la revalorisation qu’on leur avait promise, rapporte-t-elle. L’exaspĂ©ration est d’autant plus vive qu’ils voient arriver tous ces moyens alors qu’ils rĂ©clament depuis longtemps des heures pour faire du soutien, des petits groupes, et qu’on ne nous les donne pas. »

    Les remplacements au cƓur des tensions

    Ailleurs, des enseignants ont acceptĂ© le principe, mais pas nĂ©cessairement pour se lancer sur les missions prioritaires pour le ministĂšre. Dans le second degrĂ©, l’idĂ©e de s’engager pour au moins dix-huit heures annuelles de remplacement de courte durĂ©e cristallise les tensions.

    « J’ai deux volontaires pour “devoirs faits” mais aucun pour la brique “remplacement”, qui crĂ©e vraiment un blocage », constate par exemple Nicolas Bonnet, principal d’un collĂšge Ă  Blanquefort (Gironde), secrĂ©taire dĂ©partemental du SNPDEN, qui doit rĂ©partir soixante-quatre briques pour cinquante-trois enseignants. « Quelle est la plus-value pĂ©dagogique de s’engager Ă  remplacer au pied levĂ© un collĂšgue d’une matiĂšre diffĂ©rente, devant des classes que nous ne connaissons pas ? », s’agace Thibault, professeur d’histoire-gĂ©ographie dans l’acadĂ©mie de CrĂ©teil.

    Le dispositif s’avĂšre particuliĂšrement pĂ©rilleux Ă  mettre en Ɠuvre au lycĂ©e, oĂč tous les Ă©lĂšves ne font pas les mĂȘmes spĂ©cialitĂ©s et viennent de plusieurs classes diffĂ©rentes. « Ça n’a aucun sens de faire remplacer une heure de tronc commun [comme le français, la philosophie ou l’histoire gĂ©ographie] par un prof de spĂ©cialitĂ© alors que tous les Ă©lĂšves de la classe n’ont pas choisi celle qu’il enseigne », dĂ©taille l’enseignant.

    Philippe, enseignant de 61 ans dans un collĂšge de la Manche, a hĂ©sitĂ©. Comme beaucoup, il fait dĂ©jĂ  des remplacements, mais pas Ă  hauteur de dix-huit heures annuelles. Il pourra continuer en dehors du pacte, mais sera payĂ©, comme aujourd’hui, environ 45 euros de l’heure, contre 69 euros avec le nouveau contrat. « C’est fou d’ĂȘtre payĂ© moins pour faire strictement la mĂȘme chose, mais on ne sait pas Ă  quel point on sera contraint si on signe, explique-t-il. Si je mets un doigt dans l’engrenage, j’ai peur que le bras parte avec. »

    Des stages mieux payés mais moins nombreux

    Des obstacles similaires existent en primaire pour l’intervention en 6e. « Je suis en classe quatre jours et demi par semaine, j’ai deux enfants et je travaille dĂ©jĂ  plus de quarante heures par semaine, c’est impossible d’aller en plus au collĂšge le soir, si tant est qu’ils mettent ces heures sur un moment oĂč je suis thĂ©oriquement disponible », rĂ©sume Julia, enseignante en maternelle Ă  Toulouse.

    « Le collĂšge est Ă  vingt mĂštres mais personne ne veut signer pour cette mission », rapporte aussi Thierry Pajot, directeur d’une Ă©cole de treize enseignants Ă  Nice. « Les enseignants volontaires dans mon Ă©cole sont ceux qui faisaient dĂ©jĂ  des stages de rĂ©ussite et qui veulent ĂȘtre payĂ©s mieux pour ce qu’ils font, pas travailler davantage », dĂ©veloppe celui qui est aussi secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Syndicat des directrices et directeurs d’école.

    Jean, professeur des Ă©coles de 40 ans en rĂ©seau d’éducation prioritaire renforcĂ© dans le RhĂŽne, n’accepte ainsi le pacte que pour les stages de rĂ©ussite. « J’aimerais refuser parce que, sur le principe, je suis contre, admet-il. Mais nous sommes un couple de fonctionnaires avec trois enfants et on a trop sapĂ© notre pouvoir d’achat, je n’ai pas d’autre moyen d’augmenter ma rĂ©munĂ©ration [2 400 euros nets]. » Le pacte lui rapportera 1 130 euros pour deux stages de douze heures, contre 360 euros le stage de quinze heures aujourd’hui. Lui qui a l’habitude de faire cinq stages de rĂ©ussite par an n’est toutefois plus sĂ»r de pouvoir en faire autant : il lui faudrait signer plus de deux briques, lĂ  oĂč son Ă©cole en a reçu seize pour treize enseignants (sur dix-neuf) volontaires pour ces stages.

    « Le temps politique n’est dĂ©finitivement pas celui de l’école, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour que ça marche », pointe Nicolas Bonnet qui compte, lui, six professeurs des Ă©coles volontaires pour intervenir en 6e, mais ne sait pas encore s’il pourra faire correspondre les emplois du temps.

    A la veille des vacances, la mĂȘme certitude est partagĂ©e par tous : le pacte – et les mesures qui en dĂ©pendent – s’appliquera de façon trĂšs disparate selon les Ă©tablissements, et rien ne sera en place avant la rentrĂ©e, voire le mois d’octobre.

    Eléa Pommiers