Andrew A. Michta est chercheur principal et directeur de la Scowcroft Strategy Initiative au Conseil atlantique des Ătats-Unis. Les opinions exprimĂ©es ici sont les siennes.
Un changement radical sâannonce en Europe, et ses consĂ©quences sur les relations de lâAmĂ©rique avec ses principaux alliĂ©s nâont pas encore Ă©tĂ© prises en compte Ă Washington.
Principalement poussĂ©e par les pressions de Berlin et de Paris, lâUnion europĂ©enne Ă©volue rapidement vers la transformation systĂ©mique la plus radicale depuis sa crĂ©ation. Il sâagit de centraliser le pouvoir dâune maniĂšre qui changera la nature mĂȘme du bloc, avec un impact sur la politique et lâĂ©conomie du continent. Cela modifiera Ă©galement fondamentalement la maniĂšre dont lâEurope interagit avec les Ătats-Unis.
Les changements actuellement envisagĂ©s transformeraient lâUE dâune confĂ©dĂ©ration de pays souverains en une entitĂ© fĂ©dĂ©rale unitaire, avec son gouvernement central prĂ©sidant des Ătats-nations partiellement autonomes. Et lâargument clĂ© avancĂ© par les partisans de cette approche est que sans cela, lâĂ©largissement prĂ©vu du bloc le rendrait bientĂŽt ingouvernable.
Ces propositions de rĂ©vision du traitĂ© reposent sur trois changements fondamentaux : lâintroduction du vote Ă la majoritĂ© ; lâĂ©limination du veto des pays membres individuels, ce qui mettra fin au principe de lâunanimitĂ© ; et limiter le nombre de commissaires europĂ©ens.
Sâils sont mis en Ćuvre, ces changements rĂ©aligneront radicalement le pouvoir au sein de lâUE, le concentrant Ă Berlin et Ă Paris, car les plus grands pays seront essentiellement en mesure dâimposer leur volontĂ© au bloc dans son ensemble. La portĂ©e des changements proposĂ©s serait comparable Ă celle des Ătats-Unis qui Ă©limineraient le collĂšge Ă©lectoral et dĂ©placeraient leurs processus Ă©lectoraux vers le vote Ă la majoritĂ© simple, permettant ainsi aux plus grands Ătats du pays de diriger leur politique sans entrave.
Mais alors que les Ătats-Unis semblent ignorer ce changement imminent, en Europe, le processus de rĂ©vision du traitĂ© est dĂ©jĂ en cours avec des changements fondamentaux dans 10 domaines clĂ©s, dont la politique Ă©trangĂšre, de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense de lâUE. Et comme Ă©tape concrĂšte vers de tels changements, un rapport de la commission des affaires constitutionnelles, qui constituera la contribution du Parlement europĂ©en Ă une convention de rĂ©vision du traitĂ©, a Ă©tĂ© rĂ©cemment approuvĂ© â un Ă©vĂ©nement qui est passĂ© largement inaperçu dans les mĂ©dias amĂ©ricains. Ensuite, tous les dĂ©putĂ©s devraient voter sur le rapport lors de leur session plĂ©niĂšre cette semaine.
Cependant, lâadministration du prĂ©sident amĂ©ricain Joe Biden a semblĂ© relativement indiffĂ©rente Ă ce changement, supposant peut-ĂȘtre quâune UE plus unifiĂ©e deviendrait un partenaire plus efficace, Berlin et Paris (via Bruxelles) devenant les principaux interlocuteurs de Washington. Et Ă©tant donnĂ© que lâAllemagne est le pays membre le plus grand et le plus dominant dâEurope depuis le Brexit du Royaume-Uni, cette politique semble Ă premiĂšre vue ĂȘtre une position par dĂ©faut Ă©vidente.
Mais alors que les partisans amĂ©ricains dâune centralisation accrue de lâUE aiment rĂ©pĂ©ter la fameuse remarque : « Qui dois-je appeler si je veux parler Ă lâEurope ? â une question souvent attribuĂ©e Ă tort Ă lâancien secrĂ©taire dâĂtat Henry Kissinger â la rĂ©alitĂ© Ă venir de lâEurope ne correspond pas Ă la maniĂšre dont lâadministration du prĂ©sident de lâĂ©poque, Richard Nixon, avait engagĂ© ses relations avec le continent Ă lâĂ©poque.
De plus, cette vision du fĂ©dĂ©ralisme europĂ©en passe Ă cĂŽtĂ© du point central selon lequel, avant tout, la politique europĂ©enne des Ătats-Unis doit ĂȘtre motivĂ©e par ses intĂ©rĂȘts nationaux, et Washington doit adapter un cadre institutionnel particulier en fonction de ses propres prĂ©fĂ©rences.
LâidĂ©e selon laquelle une Europe « fĂ©dĂ©ralisĂ©e » serait plus facile Ă gĂ©rer pour les Ătats-Unis nâest Ă©tayĂ©e par aucune preuve â en particulier celle portĂ©e par le tandem Berlin-Paris, comme lâont Ă©tĂ© les positions allemandes et françaises sur les questions clĂ©s de politique Ă©trangĂšre et de sĂ©curitĂ©, Ă maintes reprises, sâest Ă©cartĂ© de celui de lâAmĂ©rique. Et comme dans toute alliance, les Ătats-Unis devraient donner la prioritĂ© aux pays dont les perceptions de menace et les intĂ©rĂȘts nationaux sont les plus proches des siens.
Dans ce domaine, les efforts les plus rĂ©cents menĂ©s par les Ătats-Unis pour aider lâUkraine devraient servir de guide aux pays que Washington devrait en fait appeler en Europe.
Ce sont toujours les pays situĂ©s sur le flanc oriental de lâOTAN â depuis la Finlande jusquâaux Ătats baltes, en passant par la Pologne et la Roumanie â qui ont fait preuve de la plus grande dĂ©termination Ă se tenir aux cĂŽtĂ©s des Ătats-Unis pour soutenir lâUkraine, tandis que lâAllemagne et la France emboĂźtent le pas avec rĂ©ticence et, plus encore. souvent, ils ne parviennent pas Ă livrer.
Et tandis que les Ătats-Unis continuent de pousser leurs alliĂ©s europĂ©ens Ă progresser en matiĂšre de rĂ©armement et Ă renforcer les capacitĂ©s nĂ©cessaires Ă la mise en Ćuvre des trois nouveaux plans rĂ©gionaux de lâOTAN, ce sont ces pays de flanc qui ouvrent une fois de plus la voie.
LâAllemagne, en revanche, nâa mĂȘme pas rĂ©ussi Ă atteindre lâobjectif minimum convenu de 2 % du PIB pour les dĂ©penses de dĂ©fense, tandis que la France concentre ses dĂ©penses sur la projection de puissance en MĂ©diterranĂ©e et au-delĂ . Ainsi, lâidĂ©e selon laquelle une Europe fĂ©dĂ©ralisĂ©e dirigĂ©e par Berlin et Paris serait plus, et non moins, rĂ©ceptive aux demandes amĂ©ricaines de contributions significatives Ă la dissuasion et Ă la dĂ©fense est un vĆu pieux.
La transformation politique en cours dans lâUE mĂ©rite une attention bien plus grande de la part de Washington quâelle nâen a reçue. Les modifications proposĂ©es aux traitĂ©s de lâUE soulĂšvent des questions fondamentales sur la maniĂšre dont les Ătats-Unis entendent diriger lâOTAN Ă lâavenir et sur la maniĂšre dont ils peuvent tirer le meilleur parti de la communautĂ© dâintĂ©rĂȘts Ă travers le continent pour rĂ©duire leur fardeau en matiĂšre de sĂ©curitĂ© de lâautre cĂŽtĂ© de lâAtlantique.
Bien entendu, les dĂ©cisions sur lâavenir de lâUE appartiennent Ă lâEurope et appartiennent aux EuropĂ©ens. Mais en tant que principal fournisseur de la sĂ©curitĂ© du continent, les Ătats-Unis ne devraient pas rester un simple spectateur â surtout lorsque ces choix auront un impact sur leur charge de dĂ©fense collective au sein de lâOTAN.
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