Un habitant du Val-de-Marne a saisi lâIGPN et portĂ© plainte en avril, aprĂšs la « palpation de sĂ©curité » pratiquĂ©e par un agent de la Brav-M Ă lâoccasion dâun contrĂŽle routier. Le parquet de CrĂ©teil et la prĂ©fecture de police se sont emparĂ©s de ces faits, qui ont causĂ© de graves sĂ©quelles.
Abdel B., 41 ans, se dĂ©crit volontiers comme « la personne la plus basique au monde ». NĂ© en France, mariĂ© Ă une professionnelle de santĂ©, pĂšre de trois filles, il travaille dans les ressources humaines aprĂšs avoir Ă©tĂ© chauffeur de bus Ă la RATP pendant treize ans. « Jâai un casier vierge et mes douze points de permis », prĂ©cise-t-il, comme pour donner des gages de sa parfaite insertion sociale.
Six mois aprĂšs un contrĂŽle de police qui a eu des consĂ©quences trĂšs sĂ©rieuses sur sa santĂ©, il est encore sidĂ©rĂ© par ce qui lui est arrivĂ© le 18 mars 2024, Ă Thiais (Val-de-Marne) et qui aurait pu concerner « nâimporte qui ». Lors dâune palpation de sĂ©curitĂ©, un agent de la Brav-M lui a « pincĂ© trĂšs fortement » les parties gĂ©nitales, causant des lĂ©sions trĂšs graves. Abdel B. espĂšre « que le policier lise lâarticle » et comprenne les rĂ©percussions de son geste.
AuprĂšs de Mediapart comme dans sa plainte, dĂ©posĂ©e le 8 avril 2024 au commissariat de Choisy-le-Roi, Abdel B. retrace posĂ©ment les faits. Ils ont conduit le parquet de CrĂ©teil Ă ouvrir une enquĂȘte pour violences par personne dĂ©positaire de lâautoritĂ© publique, confiĂ©e en juillet au service de dĂ©ontologie, de synthĂšse et dâĂ©valuation (SDSE) de la prĂ©fecture de police de Paris.
De son cĂŽtĂ©, la prĂ©fecture de police se borne Ă confirmer que « plusieurs actes ont Ă©tĂ© effectuĂ©s » dans le cadre dâune enquĂȘte administrative ouverte en parallĂšle de lâenquĂȘte judiciaire.
Dans lâaprĂšs-midi du 18 mars, Abdel B. conduit son scooter, Ă Thiais. Selon son rĂ©cit, Ă©galement consignĂ© dans sa plainte, il revient de chez ses parents, sâest arrĂȘtĂ© faire une course et sâapprĂȘte Ă aller chercher lâune de ses filles Ă lâĂ©cole. Il croise la route de policiers Ă moto, quâil identifie comme des membres de la Brav-M en raison de leur tenue, et les voit faire demi-tour.
Anticipant un contrĂŽle, il se gare avant mĂȘme quâils ne lui fassent signe. Un agent « antillais aux yeux verts », qui lui semble ĂȘtre le chef dâĂ©quipe, demande Ă Abdel B. sâil sait pourquoi ils lâarrĂȘtent. Oui, rĂ©pond-il, parce quâil a oubliĂ© de mettre ses gants, obligatoires depuis 2016. Il sait quâil est en tort et ne montre « aucune opposition » au contrĂŽle. Il dĂ©crit ensuite une longue palpation pratiquĂ©e par deux autres policiers, rĂ©partis de chaque cĂŽtĂ© de son scooter, dont il a lâinterdiction de descendre.
Le chef dâĂ©quipe lui prĂ©cise « quâil sâagit dâun modĂšle de scooter qui est rĂ©guliĂšrement volĂ© et quâil ne sait pas [sâil est] une menace », se souvient Abdel B., Ă©tonnĂ© par cette palpation en binĂŽme qui dure « plusieurs minutes ». « Je suis tombĂ© sur des personnes tendues et suspicieuses mais je comprends que leur travail soit difficile », commente-t-il aujourdâhui.
En thĂ©orie, la « palpation de sĂ©curité » (rĂ©alisĂ©e par-dessus les vĂȘtements) a pour seul objet de vĂ©rifier si la personne contrĂŽlĂ©e est porteuse dâun objet dangereux. LaissĂ©e Ă lâapprĂ©ciation des policiers, elle est facultative mais « en voie de gĂ©nĂ©ralisation », rappelait la Cour des comptes fin 2023.
Alors que les policiers le fouillent jusquâĂ lâintĂ©rieur de ses poches, Abdel B. sent « un trĂšs fort pincement » sur ses parties gĂ©nitales « par le gardien de la paix du cĂŽtĂ© gauche ». Pris de panique, il demande au chef dâĂ©quipe « de [le] laisser descendre ». « Il mâa rĂ©pondu quâil pensait Ă sa sĂ©curitĂ© avant tout. »
Abdel B. se rappelle avoir ensuite subi « une deuxiĂšme fouille debout », avant quâun quatriĂšme gardien de la paix lui dresse une contravention Ă 68 euros pour non-port des gants (45 euros si elle est payĂ©e dans les quinze jours). Il signe. « En partant, le fonctionnaire de police aux yeux verts mâa demandĂ© si jâĂ©tais choquĂ© et jâai rĂ©pondu que oui », prĂ©cise encore le conducteur du scooter. Puis les policiers sâen vont.
###En arrĂȘt de travail depuis six mois
AprĂšs leur dĂ©part, « la douleur devenait de plus en plus intense », raconte Abdel B., qui va tout de mĂȘme rĂ©cupĂ©rer sa fille Ă lâĂ©cole. La nuit suivante, il a si mal quâil ne dort pas. Commence alors une longue sĂ©rie de consultations mĂ©dicales, dâexamens, de traitements anti-inflammatoires et antalgiques, de passages aux urgences.
Les documents mĂ©dicaux que Mediapart a pu consulter mentionnent un « traumatisme direct », Ă lâorigine dâune « gĂȘne urinaire importante ». Six mois plus tard, Abdel B. est toujours en arrĂȘt de travail et suivi de prĂšs par un spĂ©cialiste en urologie.
Alors quâil Ă©tait « hyper sportif », il a dĂ» arrĂȘter le vĂ©lo et la course et se retrouve « handicapé » par des douleurs permanentes. « Mentalement, je reste assez fort », poursuit Abdel B., qui reproche Ă ce policier dâavoir « dĂ©truit [sa] vie physique et mĂȘme financiĂšre » puisquâil doit assumer des dĂ©penses mĂ©dicales importantes.
« Jâaurais prĂ©fĂ©rĂ© quâil me casse le nez », rĂ©sume-t-il, en rappelant que le geste du policier pourrait aussi ĂȘtre qualifié « dâagression sexuelle ». Cet agent a-t-il commis une erreur professionnelle ou voulu lui faire mal, lâhumilier, affirmer son pouvoir ? Abdel B. refuse toute « interprĂ©tation subjective ». Quelles que soient ses motivations, « ce nâĂ©tait pas une maniĂšre de faire ».
###Un signalement Ă lâIGPN et une plainte
« Les neuf premiers jours, jâĂ©tais au lit et dans des hĂŽpitaux », raconte Abdel B., qui a signalĂ© les faits sur la plateforme de lâInspection gĂ©nĂ©rale de la police nationale (IGPN) le 31 mars. Trois jours plus tard, lâIGPN lui rĂ©pond que son signalement « a retenu [son] attention » et a Ă©tĂ© transmis Ă la direction de lâordre public et de la circulation (DOPC) de la prĂ©fecture de police, « qui apprĂ©ciera les suites Ă donner ».
Au cours du mois dâavril, Abdel B. et la DOPC ont Ă©changĂ© des mails que Mediapart a pu consulter. Le quadragĂ©naire tente de contribuer Ă lâidentification des policiers qui lâont contrĂŽlĂ©. Sur YouTube, il a retrouvĂ© lâagent « antillais aux yeux verts », quâil dĂ©signe comme « lâinitiateur » du contrĂŽle.
Lors dâune manifestation contre la rĂ©forme des retraites Ă Paris, au printemps 2023, ce policier de la Brav-M est filmĂ© par le dĂ©putĂ© insoumis Ugo Bernalicis, auquel il donne verbalement son numĂ©ro dâidentification RIO. « Je suis catĂ©gorique sur sa voix et son visage », Ă©crit Abdel B⊠Quelques semaines plus tard, il transmet Ă©galement Ă la DOPC lâavis de contravention quâil vient de recevoir, sur lequel figure un autre numĂ©ro RIO, celui de lâagent verbalisateur.
En parallĂšle, Abdel B. a dĂ©posĂ© plainte le 8 avril au commissariat de Choisy-le-Roi, aprĂšs une premiĂšre tentative infructueuse deux jours plus tĂŽt â les agents lui auraient expliquĂ© quâils nâĂ©taient pas habilitĂ©s Ă la prendre, ce qui est faux. Il a fallu plus de trois mois au parquet de CrĂ©teil pour dĂ©signer un service enquĂȘteur, rĂ©duisant Ă nĂ©ant les chances de saisir des images de vidĂ©osurveillance, conservĂ©es un mois maximum.
Depuis, Abdel B. nâa eu aucune nouvelle de la prĂ©fecture de police ou de la justice. La dĂ©cision de rendre publique son histoire, qui touche Ă lâintime, nâa pas Ă©tĂ© facile. « JâespĂšre que ça nâarrivera plus Ă personne. Il y a eu ThĂ©o, il y a eu Nahel. Je voudrais que ce policier soit dâabord neutralisĂ© dans son travail, et si la justice veut faire quelque chose, tant mieux, ça donnera confiance aux Français. Dans le cas contraire, je serai du cĂŽtĂ© des gens qui disent que notre systĂšme ne fonctionne pas. »
Abdel B. a acceptĂ© de tĂ©moigner auprĂšs de Mediapart et de fournir des documents attestant des consĂ©quences de sa blessure, mais nâa pas souhaitĂ© que tous les dĂ©tails mĂ©dicaux figurent dans cet article.
Contactés le mercredi 11 septembre, le parquet de Créteil a répondu vendredi 13 septembre et la préfecture de police mardi 17 septembre.