MĂȘme dans les pays oĂč ce droit semble acquis de longue durĂ©e, il peut disparaĂźtre. Les États-Unis en sont l’exemple : la fin de la garantie fĂ©dĂ©rale de ce droit a conduit de nombreux États Ă  interdire ou limiter l’accĂšs Ă  l’avortement. Cette situation doit nous servir d’exemple pour ne jamais baisser la garde et nous rappeler le devoir de solidaritĂ© internationale des femmes.

Dans le monde, soixante-quinze États autorisent l’avortement sans autre limite que la durĂ©e de grossesse. Vingt-quatre pays l’interdisent totalement. Et entre les deux, des conditions variables : avis mĂ©dical, grossesse issue d’un viol, problĂšmes mĂ©dicaux, danger mortel.

En Europe pas de politique commune

En France, nous sommes relativement chanceuses [1] : l’avortement est accessible sur demande, dans la limite de quatorze semaines de grossesse. Et la Constitution parle de libertĂ© garantie (mais pas de droit absolu), faible rempart contre une Ă©ventuelle rĂ©gression. De nombreux obstacles perdurent : le manque de moyens des hĂŽpitaux en personnels et centres IVG, la double clause de conscience qui fait de l’avortement un acte exceptionnel, la pĂ©nurie de pilules abortives de temps en temps, l’absence de choix entre avortements mĂ©dicamenteux et instrumental, l’injonction Ă  ne pas en parler qui prive du partage d’infos et d’expĂ©riences, un dĂ©lai pas si long. Ces difficultĂ©s conduisent encore environ cinq mille femmes Ă  avorter Ă  l’étranger chaque annĂ©e. L’avortement est banal pourtant : presque une femme sur deux avorte une ou plusieurs fois dans sa vie, ce qui est normal compte tenu de la durĂ©e de vie fertile et Ă  raison de douze ou treize cycles par an. Dans ce domaine aussi le racisme est prĂ©sent : avortement libre en mĂ©tropole, incitation Ă  la stĂ©rilisation Ă  Mayotte (aprĂšs d’autres politiques coloniales plus agressives [2]) ; dĂ©ploration de la baisse de la natalitĂ© quand des enfants d’exilé·es dorment dans nos rues.

L’Europe n’a pas de politique commune. Il n’y a pas de condition autre que le dĂ©lai pour accĂ©der Ă  l’avortement dans les pays d’Europe sauf Malte – interdiction jusqu’à juin 2023, possible depuis en cas de danger pour la vie de la mĂšre ou si le fƓtus n’est pas viable – et la Pologne, longtemps libĂ©rale mais exemple parfait des rĂ©gressions possibles : depuis 2021 l’avortement n’est autorisĂ© qu’en cas de danger pour la femme, ou si la grossesse dĂ©coule d’un viol ou d’un inceste. Le dĂ©lai lĂ©gal varie de dix semaines au Portugal Ă  vingt-quatre semaines aux Pays-Bas. L’accĂšs n’est pas toujours facile, comme en Italie oĂč le taux de soignant·es refusant de pratiquer des avortements est Ă©norme et oĂč les rĂ©gions ont des politiques plus ou moins restrictives.

États-Unis le grand bond en arriùre

En 2022, la Cour suprĂȘme a renvoyĂ© ce choix aux États en abrogeant le cĂ©lĂšbre arrĂȘt Roe v. Wade. Des États se sont mis Ă  interdire et Ă  sanctionner. Quatorze États interdisent totalement l’avortement, sept autres ont restreint le dĂ©lai lĂ©gal, parfois jusqu’à six semaines. L’Arizona a failli ressusciter une loi de 1864. L’Idaho oblige les femmes Ă  porter les fƓtus non-viables. Des dĂ©bats cruels ont lieu, des procĂ©dures en justice pour autoriser l’avortement de grossesses extra-utĂ©rines, ou en cas de malformation rare oubliĂ©e dans les exceptions. Les soignant·es avorteur·euses sont passibles de lourdes peines de prison et, dans certains États, les femmes aussi. Le Texas a instaurĂ© une prime Ă  la dĂ©lation.

Les gynĂ©cologues dĂ©sertent les États prohibitionnistes : dĂ©mĂ©nagements, internats dans d’autres États y compris pour d’autres spĂ©cialitĂ©s, dĂ©parts anticipĂ©s Ă  la retraite. Dans certains États, les femmes se trouvent face Ă  un dĂ©sert gynĂ©cologique et doivent parfois parcourir 250 kilomĂštres pour une simple consultation.

Mais la lutte continue. Saisie, la Cour suprĂȘme a statuĂ© en juin en confirmant la lĂ©galitĂ© de la pilule abortive (qui reste interdite dans les États interdisant l’avortement). Dans certains États, c’est par la justice que la sociĂ©tĂ© civile obtient la valeur constitutionnelle de ce droit, ou par referendum. La Constitution d’autres États garantit plus largement la libertĂ© reproductive. Chaque fois que la question est posĂ©e dans un scrutin, les RĂ©publicains perdent. Des soignant·es tĂ©lĂ©consultent et envoient des pilules abortives dans les États prohibitionnistes. Les États libĂ©raux mettent tout en Ɠuvre pour accueillir leurs voisines. Le nombre d’avortements n’a pas baissĂ© bien sĂ»r, les femmes se dĂ©placent.

28 septembre, journĂ©e internationale pour le droit Ă  l’avortement

Si globalement le droit Ă  l’avortement s’étend [3], parfois avec des conditions trĂšs limitĂ©es, quatre pays ont rĂ©cemment rĂ©gressĂ© ; la Pologne, le Salvador, le Nicaragua et les États-Unis. La Russie est sur le chemin. Au nom d’une religion, d’une morale rĂ©actionnaire ou dans un but nataliste, des Parlements remplis d’hommes s’octroient le droit de lĂ©gifĂ©rer sur l’intimitĂ© des femmes. Le taux d’avortement est le mĂȘme que ce soit lĂ©gal ou non : quand c’est illĂ©gal, les femmes vivent une vie sexuelle pleine de craintes (en plus d’ĂȘtre souvent vide d’orgasmes) et celles trop pauvres pour aller avorter dans un autre État/pays ou payer un·e soignant·e de bonne volontĂ© ou intĂ©ressĂ© par l’argent qu’il peut en tirer en meurent
 Il faudrait un article entier pour parler des pays du Sud, du poids des religions et des pouvoirs patriarcaux, de ceux oĂč les conditions sont celles qui prĂ©valaient en Europe il n’y a pas si longtemps et de ceux qui accĂšdent peu Ă  peu Ă  cette libertĂ©.

Le 28 septembre, on rappellera la revendication forte d’un droit sĂ©curisĂ© et inconditionnel Ă  l’avortement. L’avortement n’est pas un problĂšme, c’est une solution. Ce combat doit ĂȘtre inclus dans celui plus large de « justice reproductive », le droit d’avoir ou non des enfants et de les Ă©lever dignement.

Christine (UCL Sarthe)

[1] Cet article utilise le fĂ©minin pluriel et parle de femmes, il faut cependant garder Ă  l’esprit que des hommes trans peuvent avoir besoin d’avorter. [2] Le ventre des femmes. Françoise VergĂšs. Albin Michel. 2021. [3] The World’s Abortion Laws, Reproductiverishts.org

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    1 month ago

    Ces difficultĂ©s conduisent encore environ cinq mille femmes Ă  avorter Ă  l’étranger chaque annĂ©e.

    Quand mĂȘme.