TLDR ; oui mais c’est compliqué.

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    6 months ago

    C’est du jamais-vu dans l’histoire de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Personne, à Matignon, n’a répondu à son invitation pour la remise de son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, publié ce jeudi 27 juin. Un rendez-vous en principe incontournable pour le premier ministre depuis plus de trois décennies.

    A la veille des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, les chiffres révélés dans ce rapport – fondé sur des entretiens menés en face-à-face auprès d’un échantillon représentatif de 1 210 personnes – sont pourtant alarmants : l’indice longitudinal de tolérance, qui mesure chaque année l’évolution des préjugés chez les Français sur une échelle de 0 à 100 (plus l’indice se rapproche de 100, plus le niveau de tolérance est élevé), fléchit de 3 points en un an, pour atteindre 62. Un recul « conséquent et rare », souligne le politiste Vincent Tiberj, professeur des universités et chercheur au Centre Emile-Durkheim, coauteur du rapport.

    L’indice, en repli pour la deuxième année consécutive, reste malgré tout à un niveau parmi les plus élevés, loin de ceux enregistrés au début des années 1990 et 2010 (autour de 50). Sous l’effet de trois évolutions démographiques – l’élévation du niveau de diplôme, le renouvellement générationnel et la diversification de la population française –, le racisme « biologique », basé sur la conviction qu’il existe des races supérieures à d’autres, est devenu marginal. Une écrasante majorité de Français sont aujourd’hui prompts à condamner les discriminations et 79 % considèrent qu’une « lutte vigoureuse contre le racisme est nécessaire en France ».

    « Bruit politico-médiatique » « Une majorité de citoyens restent ouverts, insiste M. Tiberj. Ouverts à la diversité, à l’immigration, capables de faire la distinction entre critique de l’islam et préjugés antimusulmans, mais beaucoup ne votent pas, tandis que les plus radicaux de droite, eux, se déplacent aux urnes. » Ainsi 54 % des sympathisants du Rassemblement national (RN) et 26 % des sympathisants Les Républicains se disent racistes. Et leur contingent grossit, tandis que l’image du parti d’extrême droite s’est améliorée auprès des Français. Selon le baromètre annuel sur l’image du RN, publié par Le Monde et Franceinfo en décembre 2023, 41 % des Français pensent que le RN représente un danger pour la démocratie, soit le niveau le plus faible depuis 1984.

    Son succès électoral se nourrit aujourd’hui d’une xénophobie à plusieurs visages qui place l’immigré au cœur de toutes les intolérances. Au-delà des anciens stéréotypes, elle est également économique et sociale. « Dans un contexte de dégradation des services publics, notamment de santé, il y a le sentiment que les immigrés captent une partie des moyens alloués à la protection sociale », ajoute Emmanuel Rivière, spécialiste de l’opinion et enseignant à Sciences Po. A cela s’ajoute « le lien effectué par nombre de Français entre insécurité et immigration, explique Laurence de Nervaux, directrice exécutive du think tank Destin commun. Et enfin, il y a une tension autour de la question de l’islam et de son rapport aux valeurs de la République, notamment les droits des femmes et la laïcité ».

    C’est « la dimension culturelle et identitaire » du racisme, s’entourant de justifications comme « l’incapacité supposée des immigrés et des étrangers à se conformer aux normes et aux valeurs de la République », selon la CNCDH. « Débats autour de la loi “immigration”, de la loi sur le séparatisme, des émeutes [après la mort de Nahel en juin 2023], de Crépol [village de la Drôme où Thomas, 16 ans, est mort après avoir été poignardé lors d’un bal, en novembre 2023]… La baisse de la tolérance raconte quelque chose du bruit politico-médiatique et de son impact sur les Français, ajoute Vincent Tiberj. Les forces de long terme, qui banalisent et acceptent la diversité, ont été percutées par les forces de court terme, qui placent les questions identitaires au centre des discours. » L’étude de la CNCDH met en lumière la perméabilité des Français à ce contexte.

    Réalisé à l’automne 2023, le baromètre de la CNCDH établit que 51 % des Français considèrent qu’« aujourd’hui en France, on ne sent plus chez soi » (en hausse de 8 points par rapport au printemps 2022), tandis que 56 % approuvent l’idée qu’« il y a trop d’immigrés en France » (+ 7 points par rapport à novembre 2022). De même, 43 % des personnes interrogées pensent que « les enfants d’immigrés nés en France ne sont pas vraiment français », contre 21,4 % en novembre 2022. Ils continuent par ailleurs d’être 60 % à penser que « de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale ».

    « Un signal inquiétant » Le sondage, qui mesure également les indices de tolérance par minorités, fait état d’un recul général : 77 à l’égard des Noirs, contre 78 en 2022 ; 57 à l’égard des musulmans, contre 59 en 2022 ; 42 à l’égard des Roms, contre 45 en 2022. C’est la communauté juive qui subit la plus forte chute, passant de 72 en 2022 à 68 cette année. Cette résurgence des haines se traduit en partie dans les actes. « L’année 2023 a été marquée, après le 7 octobre [date de l’attaque terroriste du Hamas en Israël], par un nombre d’actes antisémites exceptionnellement élevé, qui rappelle de manière brutale la persistance de l’antisémitisme dans notre pays », souligne Jean-Marie Burguburu, le président de la CNCDH, dans son éditorial.

    « La question, parmi les sept posées sur ce sujet, qui explique cette baisse exceptionnelle est celle qui porte sur la double allégeance des juifs qui seraient plus attachés à Israël qu’à la France », note Nonna Mayer, chercheuse en science politique au Centre d’études européennes de Sciences Po et directrice de recherche émérite au CNRS, coautrice du rapport.

    En effet, 42,1 % des personnes interrogées estiment que « pour les Français juifs, Israël compte plus que la France », soit une augmentation de près de 7 points. « On note une hausse similaire par le passé, notamment en 2014, lors de l’opération “Bordure protectrice” [guerre de cinquante jours opposant Israël au Hamas] », rappelle la chercheuse.

    Malgré l’émergence d’un « nouvel antisémitisme » chez les musulmans et une partie de l’extrême gauche « qui s’appuierait sur un antisionisme amalgamant et diabolisant “juifs”, “Israéliens” et “sionistes” », les résultats du baromètre tendent à montrer que les opinions antisémites restent largement structurées par les vieux stéréotypes parmi l’ensemble des sondés.

    Ainsi, 37 % des personnes interrogées – un pourcentage relativement stable – pensent que « les juifs ont un rapport particulier à l’argent » et 21 % – en hausse de 3 points – partagent l’idée selon laquelle « les juifs ont trop de pouvoir en France ».

    Les sympathisants d’extrême droite restent plus enclins à être d’accord avec ces préjugés antisémites traditionnels (51 %), devant ceux d’extrême gauche (36 %) mais derrière les musulmans (60 %). « Quels que soient l’origine de la personne et son positionnement politique, le faible niveau de diplôme, l’insécurité économique, un âge élevé sont les facteurs-clés de l’antisémitisme… comme du racisme », commente Mme Mayer. « Dans ces temps très troublés, que le gouvernement fasse la sourde oreille malgré nos multiples relances envoie un signal inquiétant, se désole la secrétaire générale de la CNCDH, Magali Lafourcade. Notre rapport, qui analyse également les statistiques concernant le traitement judiciaire des affaires de racisme, confirme le désintérêt et le désengagement de l’Etat sur le sujet. » Les parquets ont orienté 17 % d’affaires à caractère raciste en moins que l’année précédente et mis en cause 16 % de personnes en moins pour des infractions à caractère raciste.

    « Certaines digues ont sauté. Elles vont être dures à reconstruire. Est-ce que cette baisse de la tolérance est une baisse sans lendemain ou est-ce le début d’un mouvement plus large ?, s’interroge Vincent Tiberj. On ne sait pas. »