« Quand un enfant se noie, ça ne fait pas de bruit. Il nây a pas de cris. Tout se passe sous lâeau. La mort est silencieuse. Et des enfants qui se noient, il va y en avoir davantage. Parce que les piscines publiques nâont plus dâargent. Parce quâelles ferment. Et quand elles ne ferment pas, elles ne trouvent plus de maĂźtres-nageurs comme moi. Parce que câest trop mal payĂ© et que les gens prĂ©fĂšrent ĂȘtre devant leur ordinateur. Elles demandent donc aux enseignants de primaire de donner des cours Ă leur place. Mais la technique, ils ne lâont pas. Alors, quâest-ce qui se passe ? Les enfants ne savent plus nager. LĂ oĂč je suis nĂ©, en Seine-Saint-Denis, câest un gosse sur deux qui, Ă la sortie de la 6e, nâest pas capable de flotter. Câest grave. Et comme il nây a plus dâargent, les piscines sont donnĂ©es Ă des gestionnaires privĂ©s, et lĂ , le social, tu oublies. Câest le business qui compte. Et qui peut payer les cours ? Les riches. ConsĂ©quence : ce sont les seuls qui sauront bien nager. Et les pauvres seront en danger.
Câest la fin de lâEtat-providence. Câest fini. Pourtant, savoir nager, câest un service public. La piscine, câest vivre ensemble, câest le brassage social, câest aimer son corps. Un symbole rĂ©publicain. Mais les caisses sont vides. Le gouvernement a tout vendu aux entreprises.
Pourtant, jây croyais Ă cet Etat qui aide le peuple. Jâai Ă©tĂ© communiste, socialiste, mais Hollande et les autres, ils ont tous capitulĂ© face au capitalisme. Alors non, ça suffit. Au premier tour, jâai votĂ© blanc. Je nây crois plus Ă la politique. Nos voix ne sont pas prises en compte. Je lâai bien compris en 2005, quand le peuple a dit non Ă la Constitution europĂ©enne et quâils lâont fait passer quand mĂȘme. Je ne veux pas sombrer dans le complotisme, mais on se demande si notre avenir ne se dĂ©cide pas en loge maçonnique, si tout nâest pas orchestrĂ© par des superpuissants qui veulent sâenrichir sur notre dos.
Moi, lâargent, je lui cours aprĂšs. Je suis fonctionnaire, je gagne Ă peu prĂšs 2 000 euros par mois. Je suis maĂźtre-nageur sauveteur, je suis prof de sport. Tous les week-ends, je suis Ă la piscine, je donne des cours particuliers : trente minutes, 15 euros. Et malgrĂ© tout, je suis Ă zĂ©ro tous les mois. Voire, des fois, Ă moins de zĂ©ro. Cet hiver, pour faire des Ă©conomies dâĂ©lectricitĂ©, ma compagne et moi, on dormait en jogging avec nos capuches sur la tĂȘte. Jâai dĂ» demander de lâargent Ă mes parents. Jâai 42 ans. Jâai honte. Et Macron nâa rien fait Ă part tabasser les âgilets jaunesâ, alors que, justement, ils voulaient aller au travail, sauf quâils nâavaient pas assez dâargent pour payer lâessence.
Je nâarrĂȘte pas, alors je suis trĂšs peu Ă la maison et mon couple souffre. Ma compagne et moi, on ne se voit plus. Pourtant, câest avec elle que je me sens le plus en sĂ©curitĂ©. On vient dâavoir un petit garçon, il a 18 mois. Je travaillais en Seine-Saint-Denis avant, mais il y a trop de prĂ©caritĂ©, trop de violence. Il y a trop de monde, trop de densitĂ©, trop de mĂ©langes, de diffĂ©rences culturelles. Il y a une concentration dâimmigration, aussi. Et pas une immigration de Qataris, une immigration pauvre. Ăa ajoute de la misĂšre Ă la misĂšre. Les gens nâont aucun espoir. Ils ne font pas dâĂ©tudes parce quâils nâen ont pas les moyens, parce quâils ont besoin de se nourrir. DĂšs quâils peuvent quitter lâĂ©cole, ils vont travailler pour Uber.
Les Ă©coles sont dĂ©labrĂ©es, les professeurs dĂ©bordĂ©s. Alors, pour mon fils, jâai dĂ©mĂ©nagĂ© ici, Ă MĂ©rignac, prĂšs de Bordeaux. Et tout ce que je lui souhaite, au final, câest dâaller dans une Ă©cole privĂ©e. Pour ĂȘtre encadrĂ©. Je ne pensais pas quâun jour je dirais ça. Et jâai peur pour lui. Quâest-ce qui va se passer avec la Russie ? Je nâai jamais demandĂ© Ă faire la guerre en Ukraine. Jâaurais aimĂ© quâon me demande. Faire un rĂ©fĂ©rendum. Ce nâest pas le prĂ©sident, ni une coalition, ni une suprafĂ©dĂ©ration, ni une supranation qui doit en dĂ©cider. Et sur ce plan-lĂ , je rejoins certaines idĂ©es du Rassemblement national en termes de souverainetĂ©. Mais ce sont des fascistes, et je nâen veux pas de ça.
Coluche avait raison : âSi voter changeait quelque chose, il y a longtemps que ça serait interdit.â Alors, dimanche [7 juillet], je voterai encore blanc. Je sais que mon vote nâest pas comptabilisĂ©, mais je veux leur montrer que je ne suis pas dâaccord. Et moi, ce que je me dis, câest : âSi tu ne peux pas sauver le monde, alors bats-toi pour ta famille.â Et câest ce que je fais.
Ce soir, avec ma chĂ©rie, on fĂȘte nos quatre ans. Je pars au McDo nous acheter des crĂšmes glacĂ©es. Je peux compter sur elle, et elle sur moi. On vient dâarriver dans cette ville, on nâa pas encore dâamis, mais on sâen fera. On nâa pas les moyens de partir en vacances, mais il y a un parc en face de la maison. Et il y a aussi un trĂšs grand centre aquatique : quatre salles de fitness, un rooftop avec Jacuzzi, quatre saunas. Câest privĂ©. Je suis tentĂ© dâaller travailler pour eux. Pour peut-ĂȘtre un meilleur salaire. Peut-ĂȘtre pour une meilleure vie. »
Top! 150 abonnĂ©s quand mĂȘme, ça monte doucement ha ha